Les
relations franco-indiennes
Par
Karan Singh
Karan Singh, fils de la
Maharani Tara Devi et du Maharaja Hari Singh
du Cachemire, fut nommé en 1949, à l’âge de
18 ans, Régent du Cachemire - et cela
pendant près de dix neuf ans ! Puis à 36
ans, il devient le plus jeune Ministre de
toute l’histoire de l’Inde indépendante, ,
puis, il est dépêché en 1990 comme
Ambassadeur aux Etats Unis, avant de devenir
membre du Raja Sabha, le Sénat indien.
Mais Karan Singh est bien
plus qu’un maharaja ou un homme politique. C’est d’abord un érudit, membre des
Clubs de Rome et de Budapest, qui a écrit de nombreux ouvrages, notamment sur le
philosophe indien Sri Aurobindo, qu’il qualifie de “Prophète d’un Nouvel Age”.
Enfin, et surtout, Karan Singh est un francophile assidu. Il fut Président, avec
Jean François-Poncet, du Forum franco-indien, qui s’efforce, sous l’impulsion du
Président Chirac et de l’ambassadeur de France en Inde, Dominique Girard, de
changer l’image de marque de l’Inde en France.
Par un curieux concours de circonstances, je suis né dans la ville
méditerranéenne de Cannes, dans le Sud de la France, dans l’hôtel luxueux
Martinez, rien de moins. Ainsi j’ai gardé une sorte de lien spirituel avec la
France, bien que le bébé que j’étais n’y restât que six semaines, avant de
retourner en Inde. Par la suite, j’ai visité plusieurs fois ce beau pays et, en
une occasion, ma femme et moi logeâmes dans la suite où j’étais né !
En dehors des visites touristiques, une association plus profonde se développa
avec la France en 1998 lorsque le Président Jacques Chirac, durant sa visite
officielle en Inde, ainsi que le Premier Ministre Indien Inder Gujral
annoncèrent que je serai le co-Président du Forum Franco-Indien qui venait
d’être instauré, en compagnie de mon ami Jean-François Poncet, mon homologue
Français. Je suis resté co-Président durant deux années, durant lesquelles nous
tenions deux réunions annuelles, l’une à New-Delhi, l’autre à Paris. Il en
résulta un certain nombre d’initiatives d’ordre culturel et commercial, qui
culminèrent en un important séminaire portant sur le concept de monde
multipolaire.
Selon mon expérience, l’Inde et la France ont chacune un rôle particulier à
jouer dans leurs continents respectifs. Les Français occupent une position
unique en Europe comme nous en Asie. Les perspectives de collaboration créatrice
entre nos deux pays sont immenses à plusieurs niveaux. Il y a bien sûr le
domaine économique et commercial, où les échanges entre les deux pays sont en
progression régulière : les statistiques le montrent et je suis convaincu que
dans les années qui viennent cette relation commerciale se développera
considérablement pour le plus grand profit des deux partenaires. La barrière
linguistique était significative à une époque mais avec l’Anglais devenant peu
ou prou la Lingua Franca, il n’y a plus là de difficulté majeure.
Le second domaine où nous pourrions resserrer nos liens est celui des échanges
culturels. Le festival de l’Inde qui s’est tenu à Paris il y a quelques années
fut un succès considérable et un nombre croissant de Français visite l’Inde en
tant que touristes. Ainsi peuvent-ils nous découvrir non seulement comme un pays
exotique fait de palais, de forts et de temples splendides – ce qu’il est – mais
aussi comme une démocratie vibrante utilisant un système multiparti semblable à
celui qui était en vigueur en France avant la Quatrième République.
Le troisième domaine dans lequel des relations peuvent se développer, non
seulement avec la France mais avec tous les pays francophones tels que le
Canada, la Suisse et la Belgique, est celui des échanges universitaires.
Certaines de nos institutions académiques sont parmi les plus développées dans
le monde et rien ne s’oppose à ce que plus d’étudiants, de professeurs et
d’universitaires viennent en visite sur une base régulière. De notre côté, nous
souhaiterions pouvoir envoyer davantage d’étudiants en France, si la barrière du
langage pouvait être levée.
Finalement, dans le contexte d’une mondialisation croissante, l’Inde et la
France doivent travailler ensemble à un équilibre multipolaire. Non par aucun
anti-américanisme mais du fait que le maintien de la paix dans le monde exige un
système multipolaire, de même qu’une confluence plutôt qu’une guerre des
civilisations. Le monde dans lequel nous vivons est fait de changements rapides
et d’événements inattendus, l’Inde et la France peuvent créer entre elles un axe
de modération et de stabilité.