Nadine Leprince
répond aux questions de Philippe Pratx
pour La Nouvelle Revue de l'Inde
(en complément de l'article
"Shekhawati : un monde d’images qui se
meurt" - n°3)
Le site de
Nadine Leprince se trouve
ici.
Ma
fascination pour l’Inde remonte à de
nombreuses années, mais c’est l’âme du
Rajasthan, dans sa diversité, ses coutumes,
ses fêtes, ses rites, son architecture et
ses arts qui m’ont particulièrement séduit
et c’est pourquoi j’ai choisi de m’y
établir.
Les
havelis du Shekhawati m’ont dès le départ
enthousiasmé ; derrière les façades
ouvragées, l’art des fresques illustre le
développement de la région et l’omniprésence
des Dieux. Les cours intérieures séparaient
le monde des hommes et celui des
femmes…j’avais envie d’en modifier
l’utilisation !
Aujourd’hui, les havelis abandonnées
s’assoupissent dans les sables, leurs riches
propriétaires absents, les dégradations vont
bon train. Et ces quartiers, ces villages,
autrefois splendides, ressemblent au décor
du conte de fée de « La belle au bois
dormant », ou la vie s’est arrêtée.
Malheureusement le temps ronge ces superbes
demeures.
Aidée
de mes deux fils, nous avons choisi cette
haveli de Fathepur-Shekhawati, dans le
Rajasthan, pour continuer son histoire et
juxtaposer le passé et le présent.
Les
travaux de restauration se sont étalés sur
plusieurs années et m’ont amené à travailler
avec des artisans de toutes sortes et des
artistes locaux spécialises dans les
peintures murales. J’ai pu observer combien
le Shekhawati était une région
exceptionnelle sur le plan artistique, tant
pour l’architecture de ses havelis, temples,
palais et ses décors : peintures, portes et
fenêtres en bois sculptés…que pour son
artisanat : objets usuels, bijoux typiques,
magnifiques tissus…
Mon
idée première était de m’installer a
Fatehpur pour peindre sur l’Inde. Puis au
fil des jours, j’ai pu me rendre compte que
tout ce patrimoine artistique était en grand
danger.
À
chacun de mes séjours, je constatais que des
havelis étaient démolies, que leurs
habitants vendaient les portes et les
fenêtres, et ces belles demeures perdaient
leur âme. Les monuments principaux comme les
puits, réservoirs, chatris, dharamsalas sont
chaotiques et dévastés…Il fallait faire
quelque chose, et vite !
Cette
région qui avait été si belle grâce a l’art
est en train de disparaître. C’est un
véritable trésor qui pourrait être une
source de richesse pour la population
locale. J’ai donc eu l’idée de créer un
modeste Centre Culturel afin d’organiser des
rencontres entre artistes Indiens et
artistes étrangers.
Une
galerie d’art s’imposait. Mon atelier et les
dépendances pouvant servir aussi de lieu de
réunions d’artistes et de responsables de la
Culture. J’accueille ainsi les artistes dans
ma haveli, à l’occasion de leur exposition,
pour en faire un lieu de rencontre. J’ai
commencé à inviter des artistes indiens en
France, à Paris, pour participer à de
grandes expositions pour une amitié
franco-indienne plus forte et plus active.
J’ai
crée à Paris une association : « Centre
culturel franco-Indien Nadine Le Prince »
pour la sauvegarde du Shekhawati et
l’échange culturel entre l’Inde et la France
Aidé
de mon fils Joël Cadiou, artiste
photographe, nous avons alerté le
gouvernement du Rajasthan, pour la
sauvegarde de cette magnifique architecture
Indo-Moghole, héritage culturel de l’Inde,
en grand danger de destruction. Nous avons
alerté les médias et tenté de sensibiliser
la population. Maintenant 3 villes sont « Heritage
town » : Fatehpur, Mandawa,et Nawalgarh,
mais si les démolitions continuent, des
Indiens ont depuis restauré des havelis, et
j’espère que le gouvernement encouragera
cette renaissance.
J’ai
beaucoup peint sur l’inde, fait des
expositions sur ce thème en France, et j’ai
commencé à participer à des expositions de
groupe à Kolcatta, Jaipur et Delhi. En
février 2009, j’ai exposé avec Joël cadoiu
au centre culturel de Jaipur « Jawahar kala
kendra, et du 19 au 25 octobre , nous
exposerons à Mumbai à la célèbre « Jehangir
Art Gallery ».
Je
partage ainsi ma vie entre l’Inde et la
France.
Les
peintures des havelis sont des galeries à
ciel ouvert, et présentent un double
intérêt : historique, elles racontent la vie
à l’époque de la construction de la haveli,
vie historique : les mouvements de troupes,
problèmes entre les Moghols et les Rajputes,
affrontements entre princes Rajputes, vie du
propriétaire, sa vie est représentée sur les
murs, les dieux qu’ils vénéraient, ses amis
ses voyages, ce qui était à la mode à
l’époque, l’influence des Anglais…
Et artistique : la qualité des fresques, la
beauté des dessins, l’imagination dans la
représentation des histoires…
Et puis suivant la date de construction, les
styles ont évolué : tout à fait
Indo-Mogholes jusqu’à l’arrivée des Anglais
dans la région, puis influence de la
présence Anglaise, dans les fresques et dans
l’architecture (balcons en fer forgé ou
fonte représentant la reine Victoria…) Puis
influence Française avec « l’art nouveau »
introduit en Inde par des architectes
Français.
Aujourd’hui, la plupart des havelis ne sont
habitées que par des gardiens, leurs
propriétaires ont désertés la région pour
habiter Mumbai ou Kolkata, les havelis ne
sont plus entretenues et pire, elles sont
démolies pour vendre les poutres, les portes
et les fenêtres en bois sculptées ornées de
bronzes, et d’horribles boutiques en ciment
sont construites pour le rapport.
Le problème majeur est que ces demeures ont
un nombre très important de propriétaires,
car au fil du temps, les propriétaires ont
eu des enfants et ne se sont pas occupés de
la succession, aussi de nombreuses havelis
ont 20, 30 et parfois plus de propriétaires
ce qui rend les travaux d’entretien ou la
vente pratiquement impossible. En ce qui
concerne les monuments qui ne sont pas dans
un meilleur état, ils appartiennent souvent
à des castes, et là aussi il faudrait leur
accord pour intervenir.
Il faudrait que le gouvernement protège par
des lois son patrimoine ce qui n’est pas le
cas en dehors des monuments célèbres, mais
il y a un tel trésor en Inde, qu’il est vrai
que le gouvernement ne peut venir à bout de
tout.
En ce qui concerne le Shekhawati, le
Jhunjhunu et le Churu, seul l’UNESCO
pourrait faire quelque chose, et cette
région est plus que digne de son intérêt.
J’ai alerté de nombreuse fois le
gouvernement du Rajasthan, et aidée de mon
fils Joël Cadiou qui est artiste
photographe, nous avons fait un grand
travail pour montrer aux autorités ce qui se
passait et le péril immédiat de leur
patrimoine architectural, qui fait tout
l’attrait du tourisme.
J’ai alerté les médias : journalistes de la
presse, des télévisions.
J’ai fondé une association loi de 1901,
malheureusement sans aune aide financière
jusqu’à ce jour ; toute la restauration de
ma haveli, mes démarches et mon travail pour
la défense du patrimoine architectural a été
fait sur mess propres finances, et comme je
suis artistes peintres, ce n’est pas facile,
et d’ailleurs, j’arrive au bout et si je ne
trouve pas rapidement de solution, je serai
obligée d’arrêter.
J’ai commencé à exposer en Inde, ma peinture
plait beaucoup, mais à ce jour je n’ai rien
vendu, les expositions m’ont coûté beaucoup
d’argent, je suis obligée d’arrêter en
attendant que les collectionneurs Indiens
s’intéressent aussi aux artistes étrangers
ce qui n’est pas encore le cas...
Nadine LEPRINCE