Changements dans les relations
indo-pakistanaises
Par
G.
Parthasarathy
Les
attentats terroristes du 11 septembre 2001 à
New York et Washington ont eu de profondes
répercussions sur le développement des
relations indo-pakistanaises. L’offensive
contre les talibans menée en Afghanistan par
les américains a provoqué la chute du régime
fondamentaliste et l’installation d’un
gouvernement démocratiquement élu, présidé
par Hamid Karzai. Mais les talibans, El
Qaida ainsi que leurs alliés, affiliés au
Front Islamique International formé par
Osama ben Laden, ont trouvé refuge de
l’autre côté de la frontière pakistanaise.
Ils ont installé des bases au Baloutchistan
et dans les zones tribales du Waziristan,
ainsi que dans les provinces du Nord-ouest.
Alors que le Pakistan prêtait assistance aux
Etats-Unis et leurs alliés occidentaux pour
traquer certains chefs d’Al Qaida, le groupe
dirigeant des talibans ne fût jamais
inquiété. Ils se sont maintenant regroupés
et commencent à attaquer les forces de
l’OTAN dans les provinces Sud et Est de
l’Afghanistan qui bordent la frontière
pakistanaise. Une des conséquences majeures
du renversement des talibans et de la
résolution 1363 de l’ONU a été la décision
des pouvoirs occidentaux de bannir toutes
les organisations affiliées au Front
Islamique International de Ben Laden. Les
organisations ainsi interdites comprennent
quatre groupes extrémistes soutenus par les
services spéciaux pakistanais de l’ISI, qui
ont joué un rôle clé dans la violence
terroriste au Jammu et Cachemire. La liste
comprend le Lashkar e taiba, le
Harkat ul Mujahideen, le Harkat ul
Jihad ul Islami et le Jaish e
Mohammed. Alors que ces groupes
poursuivent leurs opérations sous de
nouveaux noms, le gouvernement pakistanais
réalise que le recours unique à la violence
terroriste pour chasser l’Inde du Jammu et
Cachemire s’est avéré contre-productif et
que des initiatives politiques devaient être
prises pour convaincre la communauté
internationale de la détermination du
gouvernement pakistanais à mettre fin au
terrorisme et à normaliser ses relations
avec l’Inde.
En conséquence, un dialogue soutenu entre
l’Inde et le Pakistan s’est développé au
cours des trois dernières années, en vue
d’améliorer la coopération et de promouvoir
la confiance. Un accord de notification
préalable des essais de missiles a été
signé, et des mesures ont été prises pour
éviter les incidents sur mer entre les deux
marines. De nouvelles routes frontalières
ont été ouvertes entre les deux pays, et les
échanges entre Srinagar et Muzzafarabad ont
repris après une interruption de près d’un
demi-siècle. Pour la première fois, les deux
pays se sont mis d’accord pour promouvoir
les échanges de part et d’autres de la Ligne
de contrôle qui divise le Jammu et
Cachemire. Des accords analogues sont prévus
pour faciliter les échanges entre Poonch au
Jammu et Rawalkot. L’Inde a proposé de
desserrer les restrictions mises à la
circulation entre les deux côtés par
l’ouverture de lignes d’autobus entre Kargil
et Skardu, dans les « zones nord » isolées
de l’État (lequel ?). Plus important, le
cessez-le-feu sur la Ligne de contrôle a été
observé par les deux parties depuis novembre
2003.
C'est dans ce contexte que le Président
Musharraf a déclaré que des progrès ne
pouvaient être accomplis dans la résolution
du problème cachemirien que si les deux
côtés exploraient des propositions
mutuellement acceptables. Il a proposé de
diviser le Jammu et Cachemire en sept
régions différentes, préalable à leur
« démilitarisation ». Il a demandé notamment
que les forces indiennes se retirent des
centres urbains de Baramulla, Kupwara et
Srinagar. Le Président Musharraf s’est fait
aussi l’avocat, pour la province, d’un
gouvernement autonome, [ Self-governance],
sans préciser si la même formule serait
appliquée dans les zones sous contrôle
pakistanais. Finalement, il a proposé de
mettre en place un système de « gestion
associée » [joint
management] du Jammu et Cachemire, la
province devant être gouvernée conjointement
par l’Inde et le Pakistan.
Tout en faisant bon accueil aux « nouvelles
idées » du Président pakistanais, le Premier
ministre de l’Inde, Manmohan Singh, a
proposé quant à lui que si les frontières ne
peuvent être changées, elles peuvent
progressivement « perdre de leur
importance » et s’estomper jusqu’à n’être
plus « que des lignes sur une carte ». Il a
souhaité que les populations de part et
d’autre de la Ligne de contrôle soient
autorisées à circuler et échanger librement.
Répondant à la proposition de « gestion
associée », il a suggéré que l’Inde et le
Pakistan mettent en place des « mécanismes
de consultation et de coopération » pour
promouvoir une coopération mutuelle dans
tout le Jammu et Cachemire. Des discussions
entre les deux pays se sont déroulées durant
les derniers mois sur la base de ces
propositions. Des mesures visant à résoudre
la question du Jammu et Cachemire ont figuré
pour la première fois en tête de l’agenda
des ministres des affaires étrangères des
deux pays, lors de la rencontre qui s’est
tenue à New Delhi en novembre 2006. L’Inde
semble prête à discuter la proposition du
Général Musharraf concernant l’autonomie de
gouvernement, comme à débattre d’une
décentralisation plus grande des pouvoirs,
mais en s’assurant que leur application des
deux côtés de la Ligne de contrôle soit
harmonisée. À présent, l’État indien du
Jammu et Cachemire jouit d’une autonomie
bien plus grande que les régions dites de
« l’Azad Cachemire » et des « Provinces du
Nord » sous contrôle pakistanais. Ces
dernières sont en effet directement
administrées par des “conseils” exécutifs
supervisés par le Premier ministre
pakistanais, lequel exerce son autorité à
travers le ministre fédéral pour les
affaires du Cachemire. Les élus locaux de
ces régions n’ont virtuellement aucun
pouvoir, même pour la désignation des
fonctionnaires gouvernementaux. Étant donné
l’assistance permanente que le Pakistan
fournit à des groupes terroristes qui
fonctionnent à partir de Muzzafarabad dans
« l’Azad Cachemire » sous la bannière du
« Conseil Unifié du Jihad », l’Inde ne peut
évidemment accepter aucune proposition de
démilitarisation des zones du Jammu et
Cachemire sous son contrôle. De plus, la
province comprend les lignes de
communication vitales vers les frontières
ouest avec la Chine. Le déploiement et le
libre mouvement des troupes indiennes dans
la région sont, par conséquent, essentiels à
la sécurité du pays. Mais si le Pakistan
interdisait et désarmait effectivement les
groupes qui mènent le jihad au Jammu
et Cachemire à partir du territoire qu’il
contrôle, l’Inde pourrait considérer un
redéploiement et une réduction de ses
forces, pourvu que le Pakistan prenne des
mesures similaires de son côté, à la fois
dans « l’Azad Cachemire » et dans les
« Provinces du Nord ». Ces questions ont été
inclues dans les discussions formelles et
informelles entre les deux pays au cours des
derniers mois.
Bien que ces « idées nouvelles » pour
résoudre la question du Jammu et Cachemire
aient dominé les discussions et concentré
l’attention des médias, il faut rester
prudent et réaliste quant au chemin qui
reste à parcourir. Le Président afghan
Karzai n’a pas fait mystère de sa conviction
que le gouvernement Musharraf abritait,
aidait, armait, et entraînait activement les
talibans sur le territoire pakistanais. Il
existe de même en Inde un fort sentiment que
le gouvernement pakistanais continue
d’utiliser le terrorisme comme instrument
d’une politique d’État pour promouvoir ses
intérêts et ses ambitions territoriales. La
renaissance des talibans a donné aux
terroristes basés au Pakistan le sentiment
que le moment était propice pour la relance
du Jihad, non seulement au Jammu et
Cachemire mais dans d’autres parties de
l’Inde aussi. De plus, si les frontières
doivent « perdre de leur importance », comme
l’a proposé Manmohan Singh, alors le
Pakistan devra retirer toutes les
restrictions qui existent concernant les
échanges avec l’Inde, et rejoindre les
autres pays d’Asie du Sud au sein du SAARC
dont l’objectif est la création, d’ici
quinze ans, d’une zone de libre circulation
des biens et des services comme des capitaux
au sein d’une Communauté économique de
l’Asie du Sud. Or le Pakistan semble
totalement hostile à une telle direction.
Les choix politiques que le Pakistan pourra
faire dans un avenir proche restent donc
empreints d’incertitude. Ils dépendent en
grande partie des développements politiques
qui surviendront dans les mois qui viennent
à l’intérieur du Pakistan. L’Inde comme
l’Afghanistan devront attendre de voir si
les élections de 2007 se feront en faveur
des éléments modérés, opposés à l’extrémisme
religieux, ou si les éléments islamistes de
l’armée et du système politique garderont
leur mainmise sur la conduite de la
politique du pays.